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Karim Mané, le sénégalais qui fait rêver la planète basketball

Publié par NBB sur 21 Avril 2020, 20:56pm

Catégories : #AFRIQUE, #NBA, #NCAA, #Canada basketball

Karim Mané, le sénégalais qui fait rêver la planète basketball

Tom Izzo, l’entraîneur emblématique de Michigan State depuis 25 ans, était assis un peu plus tôt cette année dans une salle de conférence exiguë attenante au gymnase du Collège Vanier, à Montréal, face à celui qui est vraisemblablement le meilleur espoir québécois également sénégalais en vue de la NBA à être passé par le réseau collégial québécois : Karim Mané.

"[Tom Izzo] me regarde et dit : “Coach, il faut que je dise quelque chose à mon assistant que je ne pensais jamais devoir dire devant vous. Appelle notre pilote et dis-lui de préparer l’avion.” C’est le monde dans lequel Karim s’apprête à entrer. Ce n’est pas notre monde, raconte en riant Andrew Hertzog en nous invitant à nous asseoir dans cette même salle, la veille du championnat québécois remporté par ses Cheetahs le mois dernier.

En 32 ans à la tête du puissant programme québécois, l’entraîneur de l’année au pays en 2019 est catégorique : Karim Mané est le meilleur joueur qu’il a dirigé. Un exceptionnel au potentiel illimité.

Depuis le début de la saison, le meneur de jeu de 19 ans est l’attraction principale du circuit collégial québécois. Les offres des plus grands programmes universitaires américains ont déferlé pendant que les éclaireurs de 20 équipes de la NBA sont venus constater de visu ses habiletés.

"C'est probablement le joueur le plus recruté dans l'histoire du Québec [...] Il y avait des jours que je ne pouvais pas travailler parce que je recevais toute la journée des appels des entraîneurs de la NCAA." - Andrew Hertzog, avocat et entraîneur des Cheetahs du Collège Vanier.

Meneur de jeu grand format (1,96 m), marqueur prolifique à la discipline irréprochable devenu un habile constructeur de jeu pendant son stage collégial, il s’inspire des Jrue Holiday et Terry Rozier, deux autres meneurs de la NBA élancés et athlétiques.

"Au début, il ne savait pas comment diriger une équipe, se souvient son entraîneur. Mais une des raisons pour lesquelles il est spécial, oui c'est un bon athlète, mais c'est un meneur de jeu de 1m96. S'il était un arrière ou un ailier à 1m96, il ne serait pas spécial. Sauf qu’un meneur doit savoir comment gérer une avance, comment impliquer tous ses coéquipiers, toutes ces choses-là. Mais il est comme une éponge, il a vraiment beaucoup appris. Il a appris très très vite."

"Je travaille pour ne pas avoir de points faibles. Je ne dis pas que je suis encore à ce niveau comme les pros de la NBA, mais dans mon jeu présentement, tu ne peux pas regarder et dire que ça, c'est une faiblesse. On peut l'utiliser contre lui", décrit-il.

Andrew Hertzog - PHOTO : CCAA

Andrew Hertzog - PHOTO : CCAA

Aiguillé par un de ses adjoints sur le potentiel énorme de Karim Mané, le vétéran entraîneur avait découvert il y a quatre ans à l'école Lucien-Pagé un jeune meneur au talent exceptionnel, indiscipliné dans ses choix de jeu, mais qui avait un désir brûlant de se développer et d’atteindre les plus hautes sphères du sport.

"Moi, j'avais un plan depuis le début et j'y ai toujours cru, même quand coach Hertzog m'a recruté en premier, il m'a demandé c'était quoi mon but et j'ai dit : la NBA", insiste-t-il.

"Il était définitif sur ce point, confirme immédiatement son entraîneur. Il était très convaincant. Il y en a d'autres qui m'ont dit ça dans le passé. "Yeah right", mais je l'ai regardé dans les yeux, et il était vraiment sérieux."

À 19 ans, le Québécois né au Sénégal est déjà admissible au repêchage de la NBA, sans avoir à jouer une saison universitaire. Mais même si la tentation est présente, il reste concentré sur les objectifs qu’il s’est fixés.

"J'ai mon plan depuis que j'ai commencé à prendre le basketball au sérieux. Je me suis dit que j'allais faire tout en sorte pour que le plan arrive. Et c'était étape par étape. La première étape, c'était de choisir un cégep qui allait pouvoir m'amener où je voulais à l'université. Après, c'est de choisir une université qui va pouvoir m’amener où je veux être ultimement, et c'est dans la NBA. J'avais déjà mon plan bien en place, et j'ai tout mis mes efforts là-dedans. Et jusqu'à maintenant, ça porte ses fruits", détaille Karim Mané.

Il restait toutefois un événement qui avait le potentiel de le faire dévier de sa course.

La semaine dernière devait avoir lieu le Nike Hoop Summit, un match de démonstration qui réunit chaque année les meilleurs espoirs préuniversitaires de la planète, généralement une ou deux années avant leur saut vers la NBA. L’an dernier, neuf choix de premier tour au repêchage, dont Zion Williamson (1er) et le Canadien RJ Barrett (3e), avaient pris part à cette vitrine.

Karim Mané, le sénégalais qui fait rêver la planète basketball

Karim Mané devait donc être en Oregon, sélectionné dans l’équipe du reste du monde, alors que tout le gratin de la NBA aurait eu les yeux rivés sur le match. Une performance remarquable du jeune homme aurait pu le convaincre de déroger de son plan, mais tout joueur qui se déclare pour le repêchage de la NBA prend un risque, puisqu’il perd son admissibilité pour la NCAA à jamais.

Sauf que le Nike Hoop Summit n’a pas eu lieu, emporté lui aussi par la pandémie de COVID-19.

"Dès que j'ai commencé à jouer au basket, je regardais ce match-là. Et je ne pensais jamais que je serais capable d’y jouer, mais je m'y imaginais quand même. Avoir été choisi, c'était un de mes rêves qui se réalisait. Que ça ne se passe pas, c'est décevant, mais en même temps, c'est pour le bien des personnes et la sécurité de tout le monde", nous confie Karim Mané, depuis la maison de ses parents à Longueuil, où il vit en confinement en redoublant d’ardeur à l’entraînement tout en soignant ses blessures, dont une lancinante contusion à la cuisse qui l’a tenu à l’écart une partie de l’hiver.

En plus de forcer l’annulation du championnat national, la crise sanitaire mondiale empêche le basketteur d’explorer les campus qui le recrutent le plus ardemment; la NCAA ayant suspendu les visites jusqu’au 31 mai.

Des dizaines d’universités qui lui ont fait une offre, il a désormais réduit sa liste à cinq, dont Michigan State. Les quatre autres seraient DePaul, Marquette, Memphis, et Pittsburgh. Tous des programmes qui lui font miroiter d’avoir le ballon dans les mains dès sa première année, une condition sine qua non pour retenir ses services.

"J'ai des rencontres sur Zoom avec les entraîneurs. Ils continuent de me parler. Ils essaient de me présenter leur école virtuellement. Ils m'envoient leur document pour les programmes qui sont là-bas et le plan qu’ils ont pour moi. Ils veulent vraiment continuer de rester en contact et tenter de faire le mieux de la situation", assure-t-il.

Le flamboyant Tom Izzo, entraîneur des Spartans de Michigan State qu'il a mené au championnat national en 2000 et à huit Final Four, dont l'an dernier. PHOTO : GETTY IMAGES / MADDIE MEYER

Le flamboyant Tom Izzo, entraîneur des Spartans de Michigan State qu'il a mené au championnat national en 2000 et à huit Final Four, dont l'an dernier. PHOTO : GETTY IMAGES / MADDIE MEYER

"Si la situation dure trop longtemps, je vais peut-être être forcé de prendre une décision sans avoir visité les écoles. Personne ne m'a donné une date ou rien. Ils respectent tous mon échéancier et ils savent que c'est une décision importante. J'ai le sentiment que je suis en contrôle de mon recrutement. Je veux savoir ce que je veux faire pour mon futur. Être vraiment méticuleux et prendre soin de m'assurer de prendre la décision", insiste Karim Mané.

Abnégation et dévouement

La famille de Karim Mané a quitté le Sénégal quand il avait 7 ans. Un sacrifice nécessaire selon ses parents, explique-t-il, même s’ils vivaient bien dans leur pays d’origine.

"Ils se sont dits, pour nos enfants, pour qu'ils aient un meilleur futur, qu’ils allaient venir au Canada et au Québec. C'est vraiment pour nous qu'ils ont fait ce changement, pour qu'on ait plus d'occasions et tout [...] C'est quelque chose que j'apprécie vraiment d'eux. Ils n'ont pas été égoïstes. Ils nous ont mis nous avant eux. C'est vraiment beau", relate celui qui a renoué avec le Sénégal pendant un mois en 2015.

Le mot sacrifice revient constamment quand Karim Mané parle de ce qui lui permet d’exceller.

C'était d’abord celui du soccer, son premier amour sportif, qui l’a amené à voyager avec les équipes de Longueuil en France et en Espagne. Mais à 15 ans, le basketball, qu’il pratiquait jusqu'alors pour le plaisir, est devenu son intérêt principal.

"J'étais bon au soccer, mais le basket, c'était vraiment ça que je voulais le plus faire, affirme-t-il. Ce qui m'a poussé à me dédier, c'est la façon que j'ai été élevé par mes parents. Si tu fais quelque chose, tu vas le faire au meilleur de tes capacités."

Le Longueillois a alors commencé à venir tous les jours à Montréal après l’école pour jouer avec l’équipe civile de l’école Lucien-Pagé. Une routine qu’il a poursuivie au cégep pour aller à Vanier, situé aussi dans l’arrondissement de Saint-Laurent. Chaque jour, il passe de trois à quatre heures dans les transports en commun pour poursuivre son développement. Et malgré tout, raconte son entraîneur, Karim Mané trouve le temps d’appuyer ses coéquipiers en leur offrant du mentorat dans certains cours.

"C'est juste un autre sacrifice que je devais faire et mes parents m'ont élevé que si tu veux faire quelque chose, va falloir que tu te sacrifies. Que ce soit le sommeil, le temps avec tes amis, le temps que tu vas passer dans le gym, tu vas sacrifier plein, plein de choses pour rendre ce but en réalité. De la façon que j'ai été élevé, dans ma mentalité, pour moi c'est normal." - Karim Mané

Le processus de recrutement universitaire et l’intérêt démontré par les équipes de la NBA auraient pu faire dévier le jeune homme de ses objectifs et amener une certaine complaisance. Or, plutôt que devenir une distraction ou un élément de tension entre les Cheetahs, l’intérêt tous azimuts pour Karim Mané a profité à ses coéquipiers.

"On a six jeunes qui terminent cette année et cinq des six ont eu une offre NCAA Division I", dit non sans fierté Andrew Hertzog.

Les Cheetahs du Collège Vanier célèbrent leur victoire en finale du championnat provincial, en mars dernier. PHOTO : RSEQ

Les Cheetahs du Collège Vanier célèbrent leur victoire en finale du championnat provincial, en mars dernier. PHOTO : RSEQ

Une cuvée exceptionnelle pour le collège Vanier, qui sera certainement un léger baume sur le fait de ne pas avoir pu conquérir le titre national qui leur a échappé l’an dernier, mais aussi l’illustration pour l’entraîneur d’expérience que le système québécois n’a pas à rougir devant les académies et écoles préparatoires (prep school) américaines et torontoises, qui s’accaparent régulièrement le talent local, comme le Montréalais Luguentz Dort, par exemple, aujourd’hui dans la NBA.

"Il y a deux ans environ, j'ai fait une liste, dit Andrew Hertzog. Dans les 10 dernières années, il y a 41 jeunes d'ici qui sont allés dans des prep schools américains ou en Ontario. Des 41, seulement 6 ont joué 4 années NCAA en Division I. Tout le monde croit que vous devez aller ailleurs immédiatement pour avoir de la visibilité".

"McGill fait un tournoi présaison ici à Montréal où ils invitent beaucoup des prep schools ontariens, poursuit-il. Et cette année, on a participé au tournoi simplement pour montrer aux jeunes d'ici qu'ils ne sont pas meilleurs que nous. On a joué contre Orangeville Prep, qui est connu comme le meilleur prep school au Canada, et on les a plantés."

"Une des meilleures recrues pour l'année prochaine a vu le match... et on l'a signée récemment! C'est important pour les jeunes qu'ils sachent qu'ils peuvent rester ici et avoir une très bonne expérience" - Andrew Hertzog, entraîneur des Cheetahs du Collège Vanier.

Qu’il atteigne ou non la NBA, Karim Mané a déjà tracé la voie pour bien d’autres Québécois. L’exil avant l’université n’est pas un passage obligé.

La prochaine étape pour lui est bien désormais de partir, reste à savoir où et quand.

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